Les prénoms qu’on nous donne sont rarement des hasards….
Je dois le mien à la Sainte du jour de ma naissance… attendu garçon, je suis née fille. Un léger embarras a envahi mes parents, alors Catherine, valeur sûre, prénom en vogue à l’époque et Sainte Patronne solide du début de la mauvaise saison, le jour de sa fête favorise le bon enracinement… Allez zou, l’affaire fut vite dans le sac. Ou disons le berceau!
Mais pour le deuxième, la mode étant alors d’en donner plusieurs, alors là… ils étaient prêts avec celui de la grand mère adorée de mon père.
Elisabeth
Je me souviens peu d’elle, une vieille dame aux cheveux encore très noirs avec juste quelques fils gris. Pour sortir, toujours chapeautée et gantée. Chez elle, un immense escalier et un chien pas sympa qui pinçait mes mollets d’enfant. Je me souviens du sol de l’entrée, immense, damé en noir et blanc et de la salle à manger, tendue de soie verte avec des impressions surannées, à nouveau tendance de nos jours.
Je me souviens du sentiment puissant qui les liait, mon père et elle, bien plus fort que ce que je percevais entre lui et sa mère, les petits sont si sensibles aux ambiances, je crois que mon père a toujours été plus à l’aise avec ses grands parents qu’avec ses parents, sans doute notre système familial est-il empreint de ce modèle.
Un peu de la vie de mon arrière grand-mère
Le moins qu’on puisse dire est qu’elle fût très difficile au début. Séparée de sa mère (célibataire) toute petite, elle est placée chez des paysans. Très rude vie d’orpheline ou pire encore, de bâtarde ! Battue, affamée, très peu instruite, elle travaille comme une bête de somme de son plus jeune âge jusqu’à ce qu’elle devienne une jeune fille. Elle rencontre mon arrière grand-père dans un bal, ce qui lui vaudra une énième raclée et la décidera à le suivre, en cachette, vers une vie meilleure.
Elle le sera. Il lui a promis de ne jamais lever la main contre elle, il tiendra parole. C’est un travailleur ingénieux, il invente des techniques qui feront leur fortune, il l’épouse, lui fait trois enfants et l’installe comme une reine dès qu’il en a les moyens. Lui, il aime « l’amour », elle très peu. Ils passeront un pacte. Il assume sa famille et leurs engagements, sauve les apparences et vit ses passions ailleurs, bien plus loin.
De son passé, elle ne parle jamais. Ses enfants ont grandi, fait de bons mariages, enfin sa fille qui a aussi épousé un ingénieux qui sait lui garantir une vie confortable , ses fils…. c’est moins brillant. Elle récupère le petit garçon maltraité par sa bru, un bébé qu’elle élève jusqu’à son indépendance. C’est elle aussi qui trouvera, en allant rendre visite à sa fille, qui venait d’accoucher dans une clinique très chic, mon père nouveau né relégué dans une armoire à balais, en train de mourir d’une infection. Elle ne tergiverse pas, l’emmène à l’hôpital publique où il restera de longs mois jusqu’à sa guérison.
De son enfance massacrée, elle a développé une profonde vigilance pour les siens, une attention de louve. Protectrice discrète. Elle parle peu, mais sait se faire comprendre. Et respecter, enfin.
Les conserves de racines rouges
Mon arrière grand-mère était une excellente femme d’intérieur. Même si l’abondance lui était venue, elle répugnait au gaspillage et gardait la crainte du manque. Chez elle, la table était accueillante et bien garnie, elle faisait tout « maison », ses conserves aussi. Chaque fois qu’elle préparait celles de racines rouges, au vinaigre, que par ailleurs elle ne mangeait jamais, elle pleurait. De grosses larmes silencieuses coulaient le long de ses joues pendant qu’elle s’affairait au milieux de ses bocaux. Elle les essuyait du coin de son tablier et hochait tristement la tête.
Ce légume faisait remonter un souvenir terrible de son enfance, lorsqu’elle avait tellement faim et qu’elle en avait pris une poignée en douce, pensant que la paysanne ne la verrait pas. Cette femme sans affection lui avait saisi le bras brusquement, la traitant de voleuse. La petite serrait son poing si fort que le jus rouge coulait le long de son bras…. La femme lui fit honte, vociférant ses accusations de vol et la battit sévèrement.
C’est la saison, comme chaque année, j’ai préparé mes conserves de ce légumes que nous apprécions. Et comme chaque fois, je pense à cette petite fille mal aimée que j’aimerais serrer fort contre moi, pour la protéger et la défendre. Ma chère petite Elisabeth.
Ho mon Dieu Catherine, tes mots m’ont fait monter les larmes aux yeux. Quelle histoire touchante tu nous contes là. Quel livre merveilleux tu pourrais écrire. Y as-tu songé ? C’est réellement une très belle histoire qui m’a fait pensé à ces histoires de familles que me contait l’une de mes arrière-grand-mères. Merci beaucoup pour ce moment d’émotions que tu as partagé avec nous. Je t’envoie de gros bisous et te souhaite une très belle journée <3 Nathalie
Une histoire qui reflète combien certains êtres ont vécu l’horreur dans leur enfance et ont développé une telle résilience et un amour des autres. Les conditions de vie étaient terribles pour cette femme qui a certainement toujours gardé la peur de manquer et elle se transmet. La faim ou la pauvreté dans la lignée peuvent nous transmettre ces peurs du manque et provoquer des comportements conditionnés. Chaque vie est à la fois tellement singulière et universelle, le besoin d’aimer et d’être aimé. Bel hommage à ta grand-mère qui a un rôle dans ton identité
Oui, la peur du manque est restée ancrée en elle, mais plus forte encore la nécessité de « prendre soin » et cette part là s’est imprimée de manière transgénérationnelle dans sa descendance, sous divers aspects. Merci de ta visite
Merci pour ton compliment. Nos arrières grands-mères étaient des trésors d’histoire vivante… tristes ou cocasses, tu as raison, il faudrait les écrire avant l’oubli, un ouvrage collectif ?
Quel bel hommage à ton arrière grand-mère ! C’est une histoire de vie très touchante. J’étais moi-même très attaché à ma grand-mère qui a eu une vie chaotique, notamment pendant la guerre où elle et mon grand-père furent dénoncés à plusieurs reprises. Ces portraits de femmes sont tellement riches, c’est important de les garder dans nos coeurs. Merci pour ce partage !
Bises
Merci Isabelle pour ton message, ces livres ouverts qu’étaient nos aïeux méritent une place importante dans nos souvenirs, ils font partie de nous.
Bonjour Catherine, cette femme, j’ai l’impression que tu lui ressembles, du moins dans ta propension à prendre soin des tiens. Un très beau texte vraiment et quand tu me proposes d’écrire un livre, je pense que tu pourrais le faire bien mieux que moi ! Tes mots sont tendres et touchants. J’ai voué un immense amour à mes deux grands-mères , je ressemble beaucoup à ma grands-mère paternelle qui m’a donnée le goût de la coqueterie ! Toujours bien mise, talons aiguilles, coiffure impeccable, c’est elle qui m’a offert mon premier tailleur. Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elles deux. Avec ce texte tu lui rends un magnifique hommage. Bises
Merci Corinne, si je lui ressemble, c’est un honneur pour moi, car elle a su garder sa lumière, malgré les douleurs de sa vie.
Nos « ancêtres » continuent à travers nous et leurs traces, en ce qui me concerne, sont douces.
Un très beau témoignage.;qui nous enseigne que le »bon vieux temps »n’était pas si « bon »que ça..et que des plus terribles épreuves peut naître une belle vie
En effet, je crois que « le bon vieux temps » n’a existé que dans l’imaginaire collectif… ou peut-être est-ce celui de notre jeunesse, toutes générations confondues.
Magnifique histoire, très touchante
Chacune pourrait faire un livre sur ses grand-mère. Il y a tant à dire, ma grand mère maternelle d’origine arménienne a connu le génocide dans sa famille, elle était tout amour, Ma grand-mère paternel s’est retrouvée veuve à la guerre de 14/18, avec deux petits enfants, elle a galéré aussi, mais elle était plus distante, mais je suis certaine qu’elle nous aimait
Mon seul regret, c’est que je ne les ai pas assez interrogées
Vous avez raison, nous n’avons sans doute pas assez questionné. Heureusement, comme depuis petite, j’adore les histoires contées, j’ai beaucoup profité des souvenirs des anciens de ma famille, j’étais très bon publique.
Quel beau récit Catherine. c’est plein d’émotion et de tendresse qui me font monter les larmes aux yeux… Tu devrais songer à nous écrire un livre sur toutes ces belles histoires que tu sais si bien raconter. Je suis moi-même très attachée au passé de mes aïeules qui ont vécu des évènements difficiles comme la guerre, la pauvreté et la tristesse. j’ai tous les jours une pensée pour elles surtout pour ma grand-mère Victoria qui m’a élevée et qui me manque tant… merci pour ce beau moment. bisous.
Oh merci pour ce gentil compliment. Je suis une passionnée d’Histoire et d’histoires, ces souvenirs qui me reviennent ces temps ont mis longtemps à trouver « ma plume », mais c’est aussi un moyen de donner la parole à ceux qui se sont trop tus.