(Titre emprunté à une chanson d’Anne Sylvestre, interprétée aussi par Pauline Julien)

Sur les ondes, je suis tombée un peu par hasard sur une émission consacrée à la chasse aux sorcières, avec la participation de Catherine Clément, auteure d’un livre consacré à ce sujet http://le musée des sorcières, paru chez Albin Michel.

Contrairement à la croyance habituelle, elle situe le paroxysme de cette chasse entre le XVIe et le XVIIe siècle et non en plein moyen-âge. Cette philosophe, journaliste et essayiste qualifie cette « épuration » de crime contre l’humanité. Je vais bientôt me plonger dans son livre, mais je souscris à cette qualification, trop rarement osée par l’Histoire…

Quel intérêt, me direz-vous, d’aborder encore cette sombre période ?

Au moment où l’on voit fleurir les luttes identitaires et communautaristes, également parmi certaines nouvelles féministes, il me semble utile de relire les pages signifiantes de notre histoire, côté discrimination des femmes.

En Europe, cette chasse sauvage a fait des ravages importants dans la population. Elle a surtout imposé pour des siècles, une chape de peur pour maintenir le peuple, surtout les femmes, dans l’ignorance, la dépendance et la soumission. Le rôle de l’église catholique romaine, notamment à travers l’inquisition, fut majeur à cet égard.

Sainte ou crainte

A l’aube du patriarcat, pendant la naissance du monothéisme en orient, débute une nouvelle forme de distinction entre les femmes : celles vouées à la procréation et celles conservées stériles ( par l’utilisation de plantes puissantes), pour le plaisir. La maternité étant risquée et aussi déformante, les premières étaient plus ou moins dissimulées à la vue des hôtes de passage, les autres, au contraire, agrémentaient les réceptions par leur beauté et leurs danses. Les unes comme les autres semblent avoir disposé du statut d’épouses, ou celui de concubines reconnues. Leur rôle était très différent, et n’était pas le fait de leur propre choix.

Cette ségrégation est d’abord imposée, puis exportée par … des hommes socialement puissants : patriarches, chefs de tribus, de clans, rois, empereurs et ensuite reprise par la hiérarchie ecclésiastique pour évoluer vers la sacralisation de la maternité au détriment de la féminité.

En occident, à travers la christianisation, il a fallu du temps, plusieurs siècles, pour imposer la notion d’infériorité, et l’oppression des femmes. Les cultures celtiques vouaient un culte à la Déesse Mère, donc au féminin, et les religions polythéistes nordiques ou latines, incluaient nombre de déesses puissantes dans leurs panthéons.

Au contraire, dans les traditions judaïque, chrétienne et musulmane, dès leurs origines, Dieu est le Père.

Le rôle de l’église

L’église catholique romaine monte lentement en puissance. Son unité et sa doctrine se construisent au fil d’une impressionnante série de conciles, dès le IIIe siècle. Peu à peu s’érigent en dogmes, des idées visant à contrôler, réglementer (ou interdire), l’essentiel des relations privées et sociales, la sexualité, le plaisir, le contrôle de la fécondité, l’ordre publique, l’organisation hiérarchique, etc.

Les écarts de conduite sont le fait de …la tentation, attribut du Diable. Depuis Eve, il est réputé utiliser volontiers les femmes, plus faibles, pour le servir. Le refus ou la contestation des dogmes sont qualifiés d’hérésie.

Lors d’un de ces conciles, il est décidé, purement et simplement, que la mère du Christ était « vierge », un peu plus tard, on décide aussi que sa propre conception « immaculée » n’aurait pas été salie par le péché de chair !!!!! On discrédite les femmes qui furent proches du Christ, comme Marie Madeleine, qui d’épouse devient putain. Le dogme qui prend corps attribue un rôle très sexué aux femmes, et ce côté est réprouvé. Mais, pour achever la conversion de ceux qui étaient encore attachés au culte de la Déesse Mère, il faut une « compensation » qui va se tourner vers le culte de Marie, la Vierge mère. Ce mythe, forgé par les hommes, crée une distinction fondamentale entre « la Vierge », sainte femme et fondamentalement différente de toutes les autres qui, elles, séduisent, forniquent et enfantent dans la souffrance.

La « malédiction » féminine s’ancre donc aussi en occident….. à travers le péché originel. Il est très important de souligner le côté exclusivement humain et masculin dans l’ évolution des ces idées !

Toujours au fil des conciles successifs, vers le Xe siècle, l’église (catholique romaine) interdit le mariage de ses prêtres, moines, religieuses et religieux. En effet, dans l’église chrétienne primitive, certains monastères étaient mixtes et accueillaient les couples mariés et leurs enfants. Cet interdit contribua, entre autres dissensions dogmatiques, au schisme entre les églises orientales (orthodoxe) et latines (catholique romaine).

Le prétexte de cette interdiction : ne pas détourner les pensées des religieux de Dieu. Dans la réalité, la hiérarchie de l’église veut éviter les naissances et donc les successions, afin de conserver ainsi les biens de ses serviteurs pour renforcer sa puissance. Ceux qui étaient mariés furent séparés, les épouses des prêtres furent déclarées filles publiques et leurs enfants bâtards. En quelques générations, ce célibat imposé devint un fondement divin.

Connaissances et sorcellerie

Depuis l’aube des temps, les femmes ont toujours soigné. Porteuses de vie, elles en ont pris soin, même si, selon les organisations sociales, cela ne fut pas leur rôle exclusif ou unique. Pour ces soins, la connaissance et l’utilisation des ressources naturelles s’imposaient. Cette forme de savoir ancestral, transmis de bouche à oreille, d’abord reconnu et valorisé, fut progressivement déprécié au profit de la « science » écrite. La lecture et l’écriture étaient réservées aux élites sociales et les femmes détentrices des traditions orales furent progressivement écartées. Comme en plus , elles sont forcément vulnérables au diable…..

Discréditer pour contrôler et maintenir la hiérarchisation sociale, temporelle et spirituelle, voici les bases de la chasse ordonnée « officiellement » contre le mal et l’hérésie. Difficile de chiffrer précisément le nombre de victimes sur la durée.

Les estimations oscillent entre 200 et 300 000 personnes. Principalement des femmes, très souvent des veuves ou des célibataires, parfois même des petites filles. Les retranscriptions d’un procès en Allemagne évoquent deux fillettes de 6 et 8 ans ! Une fois les accusations de sorcellerie portées, difficile de se disculper car la torture est très souvent utilisée pour obtenir des aveux. Si la personne parvenait à résister, ou revenait sur ses aveux forcés, « l’ordalie » ou jugement de Dieu, pouvait être ordonné et cela l’achevait presque à coup sûr.

Foi, croyance et superstition

une sorcière comme les autres

La frontière est mince, aujourd’hui encore. Les progrès de l’instruction et de la la science ont élargi les champs de la connaissance et l’ont démocratisée. Encore très imparfaitement, mais l’égalité des chances devient une valeur. L’occident a progressivement évolué vers une plus grande liberté de pensée, au prix de ses guerres et de ses révolutions. Au prix des luttes sociales et féministes aussi !

A l’époque des chasses aux sorcières, beaucoup de phénomènes naturels étaient encore inexpliqués, de simples accidents pouvaient être attribués à une volonté malfaisante et délibérée. Incendies, troupeaux malades, mauvaises récoltes ou maladies… Le diable pouvait agir à travers ses « possédés » ou « suppôts ». La vie était rude, la hiérarchie sociale clivante, la misère importante et la considération de l’ individu inexistante. Souvent la vindicte populaire cherchait des boucs émissaires, victimes expiatoires de fléaux lourds à supporter.

Il est important de constater que cette tendance archaïque de reporter la responsabilité du « difficile » ou du « malheur »sur un tiers demeure encore vivace : l’étranger ou les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres, les extrémistes, les politiques, les trusts, ….. on peut allonger la liste indéfiniment et le risque du repli identitaire prend toute son ampleur, avec le risque des idéologies extrêmes et liberticides.

Reconnaissance, respect, liberté, droits, devoirs et dignité ne sont pas des revendications de catégories de personnes, ce sont des valeurs humanistes fondamentales et universelles qui nous concernent touTEs, sans distinction !